Voile de Draupadi et marche sur le feu

Alors que les marches sur le feu ont embrasé les temples tamoul de l'île début janvier, il est intéressant de lire un très beau roman d'Ananda Devi sur le sort d'Anjali, une femme mauricienne, qui souffre que son mari l'oblige à faire la marche sur le feu pour sauver leur fils malade.

Anjali a depuis longtemps renoncé à la religion, depuis que sa cousine a tout donné, jusqu'à sa vie, croyant les discours religieux qui sauveraient du feu les vrais saints, se donnant la mort en s'immolant. Anjali n'a plus la foi, elle ne croît plus assez pour accepter de se soumettre à ces pratiques qui ne sont pour elle que de vaines croyances. Mais la maladie de son fils ne s'améliore pas, il est hospitalisé et son foyer, vidé de son sens, s'effrite alors. Son mari lui reproche de ne pas être une bonne mère car elle ne fait pas la marche, sa belle-famille la prend en grippe, sa famille, quant à elle, a déposé les armes depuis longtemps et ne croit plus en rien. 

Anjali se construit peu à peu dans cette souffrance. Sa vie lui apparait sous un jour nouveau, tout comme son mariage. Elle accepte alors, pour son fils, de marcher sur le feu. Les derniers chapitres montrent la préparation du futur marcheur, le jeûne imposé, les purifications, les dialogues avec le prêtre. 

Puis c'est le jour tant attendu, tant craint. Anjali devant les braises déjà ne sait plus pourquoi elle est là. Elle n'est plus que l'ombre d'elle-même, amaigrie, malade, souffrante. Puis, le titre du roman prend alors toute son importance, elle marche sur les braises et voit le voile de Draupadi : 

"Et soudain je l'ai vu, flottant au dessus du rectangle, formant un passage étroit et mouvant, le tissu mystique de la foi indiscutée, le voile translucide qui recouvre les braises et sur lequel je vais bientôt marcher, le voile de fidélité, le voile de chasteté, le voile de féminité. Le voile de draupadi."

Seul le prêtre a compris alors quel changement survient en Anjali, quelles décisions elle est désormais prête à prendre.

Ce roman permet de mesurer l'importance au quotidien d'une religion aussi exigente que l'hindouïsme, il permet aussi de voir les marches sur le feu autrement que ce défilé un peu folklorique : les marcheurs sont là car ils souffrent avant même de mettre les pieds sur la braise. Pénitents, ils veulent se faire pardonner par les dieux leurs crimes. Ils peuvent aussi remercier un dieu d'avoir mis fin à leur souffrance ou, comme Anjali, demander aux dieux, en dernier espoir, que cette souffrance du feu mette fin à leurs souffrances quotidiennes.

Le spectacle impressionne mais leur foi semble encore plus impressionnante...Et pour savoir si Anjali aura eu ce qu'elle désire, il faut lire le roman, toujours aussi bien écrit, d'Ananda Devi.